La plus longue interview de Muriel
Muriel en a rarement autant dit que dans cette interview de Télémagazine du 22 juillet 1972, évoquant pour la première fois le divorce de ses parents et sa traversée du désert de 1968 à 1969.
Elle dit "Ma grande chance a été de tomber dans l'oubli pendant un an. ça m'a permis de comprendre des tas de choses. Et, tout d'abord, que je possédais un métier extraordinaire; si voulais le continuer, je devais le mériter, donner le maximum de moi-même. Ne plus accepter n'importe quoi comme avant, mais uniquement des rôles de qualité, dirigés par des bons metteurs en scène. Des rôles dont je n'aurais pas à rougir..."
Et pour Muriel Baptiste, le feuilleton dont elle est l'héroïne depuis le début du mois ("Les dernières volontés de Richard Lagrange") fait partie de ces "choses" dont elle est fière.
- Le tournage a été passionnant, explique-t-elle. Il a duré trois mois à Genève : trois mois épuisants, accablants... mais extraordinaires. Le texte ayant quelques faiblesses, nous nous sommes tous mis au travail - comédiens et réalisateurs - pour le revoir et le modifier au fur et à mesure que nous tournions. Nous y avons passé la plus grande partie de nos nuits, mais cette "participation" était tellement précieuse pour nous que nous n'y avons pris garde. Evidemment, je suis rentrée à Paris épuisée (d'autant que j'avais du mal à me remettre d'une hépatite virale) mais heureuse : nous avions fait du bon boulot!
Du "bon boulot", Muriel considère, d'ailleurs, qu'elle en a fait aussi - et toujours pour la télévision - en tournant "La double vie de Mlle de la Faye" sous la direction de Michel Subiéla (C'est une étrange histoire de réincarnation que l'on verra probablement à la rentrée). Et surtout, en tenant dans "Les Rois maudits", le merveilleux rôle de Marguerite de Bourgogne, cette reine qui aimait trop la vie et les hommes:
- Jamais un rôle ne m'a "entamé" à ce point, dit-elle. J'y ai laissé sept kilos! Les gens, en riant, disaient que j'étais "plantée sur des queues de cerises"... à la fin du tournage. Au début, c'était différent : ils ne me parlaient pas! Personne ne me faisait confiance. On disait que je ne "faisais pas le poids" pour jouer ce rôle : c'était affreux de travailler dans ces conditions. Je n'en dormais plus. Mais je me suis "accrochée", et, au bout d'un mois, la partie était gagnée. Oh! Bien sûr, il y a eu jusqu'à la fin de fameuses "enguelades" sur le plateau avec le réalisateur, Claude Barma. Mais elles étaient plus folkloriques que sérieuses. Et quand il s'exclamait "Qu'elle est têtue cette gamine!", je crois bien que c'était teinté d'affection.
Ce qui ne serait pas très étonnant, car il est difficile de résister à cette fougue, à cet enthousiasme, à cet amour de la vie qui débordent de partout chez ce petit "bout de femme" toute menue, presque fragile.. Difficile de ne pas remarquer sur ce visage à la peau mate, aux pommettes saillantes et aux yeux sombres mis en valeur par une lourde tignasse de cheveux bruns tirés en arrière, quelle force et quelle volonté l'animent... et de ne pas se laisser emporter par ce tourbillon de vie. En fait, Muriel ressemble un peu aux femmes du sud, italiennes et espagnoles...
- J'ai des origines méditerranéennes, précise-t'elle. D'ailleurs, je suis très attirée par ces pays- là. Surtout l'Andalousie dont je suis tombée amoureuse il y a quelques années et où je vais le plus souvent possible. Dès que j'ai dix ou quinze jours de liberté, je pars dans des villages perdus. Je bavarde avec les gens, je me prélasse au soleil, je dors, je mange : la nuit, je danse le flamenco et je goûte la douceur de l'air. C'est beau l'Andalousie! Les gens savent vivre là-bas Ils prennent le temps. Ce n’est pas comme à Paris ! Car, malgré son jeune âge – 24 ans – Muriel a déjà fait une expérience amère de la vie et des hommes :
-J’ai eu une enfance un peu « tiraillée » entre des parents divorcés, explique-t-elle. Et très tôt, j’ai eu envie d’être indépendante. J’ai donc commencé à travailler à 16 ans. Je voulais faire du journalisme mais, pour vivre, je posais pour des photos de junior. Un producteur italien m’a remarquée et engagée pour un film… qui ne s’est jamais fait. Entre-temps, j’avais pris des cours de comédie et sur les conseils de mon professeur, je m’étais présentée – sans y croire – aux auditions pour le rôle de « Gigi ». C’est moi qui l’ai obtenu : je l’ai joué un an en tournée, puis une saison à Paris. Bref, pour une gamine de 17-18 ans, c’était un vrai conte de fées !
« Après cela, j’ai tourné pour le cinéma et la télévision sans discontinuer (entre autres, j’ai fait « La Princesse du rail » qui repasse en ce moment sur le petit écran). Je gagnais beaucoup d’argent à cette époque. J’avais une foule d’amis avec qui je passais toutes mes soirées dans les « boîtes » à la mode ou bien à qui j’offrais des billets d’avion pour aller prendre le soleil sur la Côte d’Azur pendant quelques jours…
« Cela a duré jusqu’à la fin 1968. C’est la que s’est produit le « creux ». Pendant une année environ, je ne tournais plus. J’étais fauchée. Je vivais dans une chambre de bonne. Cela dit, je n’étais pas malheureuse : je peignais, je faisais des collages, je lisais…et je pensais, avec une certaine sérénité, qu’il allait falloir songer à trouver un autre métier. Mais je n’étais absolument pas déprimée. Finalement, ce qui m’a fait le plus de mal pendant ce passage à vide, c’est de m’apercevoir, le jour où j’ai eu besoin d’un peu d’argent, qu’il n’y avait plus personne. Envolés, les amis ! »
La leçon a été dure, mais positive. Muriel aime trop la vie pour n’en voir que ses aspects négatifs et elle a su tirer profit de cette expérience.
« Je vous l’ai dit : professionnellement, ce « creux » m’a été bénéfique. Lorsque j’ai repris au théâtre fin 1969 « Tchao » (avec Pierre Brasseur), mon état d’esprit avait complètement changé. Je n’étais plus la petite fille heureuse et insouciante des débuts. J’avais pris conscience de la modestie de ma situation et je voulais, par mon travail et ma volonté, devenir une vraie, une bonne comédienne. Depuis, je ne cesse de m’y appliquer.
« Sur le plan personnel, ma réaction a été moins raisonnée, plus violente : bien sûr, mes « amis » sont revenus vers moi dès que tout s’est remis en marche… mais moi je les ai fuis. Je suis devenue sauvage. Maintenant, je ne mets plus le nez dehors ! »
Sauvage, c’est beaucoup dire. Méfiante – un peu, si peu ! – conviendrait mieux sans doute. En effet, non seulement Muriel reconnaît qu’elle a encore quelques amis (« des vrais »), mais elle avoue qu’elle engage facilement la conversation lorsqu’elle fait ses courses le matin dans son quartier, à Pigalle, ou avec son voisin dans le métro, à l’arrêt de l’autobus…
« Souvent, on me prend pour une folle, dit-elle. Les gens d’ici ne sont pas habitués à çà. C’est dommage. C’est même pire : c’est terrible !
Pour se consoler, Muriel a toujours ses livres…
« La lecture ? C’est une passion, je lis tout. Tout m’intéresse. Je crois même que je pourrais lire le bottin ! J’ai une soif de connaître inapaisable. Je suis d’une curiosité folle. C’est formidable parce qu’ainsi, je suis sûre de ne jamais m’ennuyer dans la vie !
Propos recueillis par Arlette CHABROL, Télémagazine N°874- 22 juillet 1972.